Sunday, August 27, 2006

A quoi sert la crise

Que la crise de l’université sert à quelque chose (voir les analyses d’Oblin et Vassort sur la « crise bien entretenue »). La difficulté est de comprendre quoi exactement : quels bénéfices pour quels groupes sociaux et pour le frayage de quels modes, de quelle domination, politiques.
Elle sert à faire reporter la pression sociale sur le lieu de l’université. Une classe dominante s’y défausse (je prends le terme des Quelques diagnostics, de l’ARESER) d’un problème politique en appuyant sur un lieu social ; en le fragilisant pour en redoubler son propre pouvoir. En le localisant, aussi : le désignant comme problème local – l’extrayant de la perspective politique où il prend son sens en système, et où les responsabilités et les acteurs sont visibles.
Pour quelle croissance, ailleurs, et aux dépens les ressources sociales de l'université? Pour quelle "modernité" cette "modernisation"? Les lieux en développement, dans l'université : les DESS devenus Masters (et à numerus clausus), et la communication, pour commencer. Les "transversalités" dont parle ELB. Les champs, vapid, de l'inter-culturel, tels que pointés dans notre argumentaire pour le séminaire "Diversité des langues" (IndeA/Texte étranger/Polart) en septembre 2005. Etc.

Il me semble que les conflits du printemps dernier autour du CPE en sont une manifestation. C’est l’université comme espace des « jeunes », tranche de la population exposée prioritairement au chômage : à un moins-de-pouvoir social ; un affaiblissement politique, et au bout du compte l’option d’un disenfranchisement.
C’est aussi l’université comme lieu où se joue un tug-of-war pour la transformation de la valeur sociale du savoir, de la pensée, et de la création. Pression pour déplacer la valeur universitaire vers l’idéologie contenue dans les concepts d’« évaluation », d’« expertise ». Pression pour transformer la « formation » en « professionnalisation », la recherche en application, en « développement » (R&D). Commodification, utilitarisme (les analyses d’Arnold restent d’actualité sur ce point. Reste à penser une « culture » par l’université, et par English, qui ne soit ni celle du cultivé ni celle du beau, « théorie du beau unique et absolu » marquée comme l’anti-modernité par Baudelaire. Ce sera donc par la voie, comme chaque fois, d’une pensée de l’historicité. Historicisation du savoir, contre sa réification). Les discours de la Commission européenne sur le savoir comme marché de pointe pour le 21ème siècle.

Pression, encore, pour transformer le sujet universitaire en producteur re-producteur (Bourdieu aussi, toujours pertinent ici) : mais aussi l’exposer au burn-out personnel. Les enseignants du secondaire connaissent ça depuis longtemps. Alors même qu’il est pris comme cog et fonction d’une machine qui devrait le soutenir par articulation systématique tous azimuts, l’individualiser : faire peser sur lui, chacun, la totalité de la pression politique. C'est la logique thatcherienne du "Get on your bike" (Norman Tebbitt). La contractualisation prévue dans le rapport Espéret et la proposition Belloc est une introduction à la logique libérale du privé : les « transformations du métier de l’enseignant-chercheur », observées par l’analyse sociologique d’un Charles Soulié, indiquent la multiplication des tâches qui est aussi une multiplication tous azimuts du temps et de la densité de travail. Le passage aux outils de l’information est une occasion de plus, fait partie des moyens, pour cet accroissement du volume d’information dont chacun est responsable (le mail en premier lieu, qui s’insinue dans le temps privé et inonde). Le sujet devenu individu peut soit se désengager (beaucoup le font – le processus est parallèle à celui de la désaffection des instances collectives, le report des lieux de décision vers des instances privées – expertes et extérieures à la communauté scientifique [Olin et Vassort], ou commissions et chargés de mission nommés par les présidences –, l’amenuisement de l’espace public dans la démocratie institutionnelle de l’université), soi se surengager : cette logique existe aussi beaucoup. Surengagement par « passion » (les termes seront alors personnels, psychologiques et moraux – faire son boulot, ne pas faire son boulot), laissé à la discrétion des individus donc. Des hystéries d’animation collective et community-building, des carriérismes opportunistes aussi : ces énergies individualisantes, dépolitisantes, qui sont les produits d’une situation, d’une activité politiques.

Fragiliser l’université, encore, comme espace des « intellectuels ». Focaliser sur elle, en tant que telle, un conflit social. Ici, le fil à suivre de la « guerre contre les intellectuels » du temps de Raffarin, et remontant jusqu’à l’épisode des Nouveaux réactionnaires.

Saturday, August 26, 2006

Lexique de la "corporate university"

Il me semble qu'il serait possible de recueillir, dans une chronique, les termes d'un discours qui se déroule quotidiennement et se tisse en une emprise idéologique qu'il est important de repérer, pour une vue sur le présent politique : celui d'une colonisation (on peut dire aussi : une absorption ; on reste dans la logique du capital) des questions universitaires par les valeurs du marché : la productivité et ses réifications. Et ses coûts culturels et sociaux.
Je dis "corporate university" par référence au titre d'un article récent lu dans Cultural Studies (références à venir).
Cette écoute, ce suivi, doivent se tenir dans une attention comparatiste. J'avais commencé à constituer ce corpus dans ses termes français, à la suite du premier frayage d'Eric Hazan (LQR [Lingua quintae respublicae]. La propagande du quotidien, Paris, Raison d'agir, 2006 - référant sa méthodologie au travail de Klemperer sur la LTI nazie). Mais j'en reconnais immédiatement le cousin au premier contact avec le discours pédagogique que tient Brooklyn College CUNY sur ses propres pratiques et, plus exactement, ses objectifs ("goals"). De même, dans les profondes transformations des universités britanniques depuis quelques campagnes de Research Assessement Exercises.
Où je déduis que la situation intellectuelle du sujet universitaire en France dépend du rapport géopolitique entre la France, les Etats-Unis, l'Angleterre, et l'Europe, dans tous les sens de la circulation entre eux. Et pas seulement, thématiquement, pour la discipline Anglais.
Où je déduis quand même aussi que l'Anglais n'est pas n'importe quelle discipline dans le contexte que ça dessine; mais constitue un point déterminant. Comme question même de ce qu'il advient de la disciplinarité - instrumentalisation; déshistoricisation; la "modernisation" contre la modernité de l'Anglais comme discipline des "Modern Languages" et de la diversité des langues commme historicité du langage - dans ces infléchissements; sous cette pression.

Quelques premiers termes, pour tendre l'oreille :
"outcome-based course design" et "outcome assessment", "goals" et "measurable goals" (le quantitatif, et l'"évaluation" croisée de tous côtés, une mass-observation de la valeur, étudiants sur enseignants, université sur elle-même etc.. Où la valeur est pensée par la catégorie de l'"évaluation" et son empreinte libérale - "assessment" en Angleterre et aux Etats-Unis). Système hiérarchique, articulé, de "goals" (et "ancillary goal"), "objectives" et "specific aims". "Templates" pour la rédaction de "syllabi". "Skills", "skill goals". "Réussite".
Il y a aussi "collaborative teaching" qu'il faudra regarder, et "core curriculum", avec la "culture générale" peut-être.

Benjamin sur le rapport critique

“My communism is a drastic, not infertile expression of the fact that the present intellectual industry finds it impossible to make room for my thinking, just as the present economic order finds it impossible to accommodate my life.”

Friday, August 25, 2006

Livre : La Crise de l'université française

Présentation de l'ouvrage par Henri Amadei - transmise par circulaire mail.
C'est moi qui souligne.

Cet ouvrage (1), sous titré "Traité critique contre une politique de l’anéantissement" mérite une bonne place dans les rayons de l'EDMP et parmi nos lectures.
Pour juger de la qualité de cet ouvrage rien de tel que quelques extraits de cet excellent livre critique récent :

a. De la préface de Jean-Marie BROHM

"Le livre que publient aujourd’hui Nicolas Oblin et Patrick Vassort est un appel à la lutte contre la décomposition libéral-bureaucratique de l’Université, un refus de la liquidation de la culture et des savoirs fondamentaux qui s’effectue au nom de la gestion technocratique des "ressources humaines", de l’adaptation aux "demandes sociales" et de la "professionnalisation" locale des cursus. Les tendances délétères qu’ils dénoncent, à la suite d’autres universitaires, constituent en ce début du XXIème siècle l’aboutissement logique d’un triple processus de démantèlement institutionnel, de rationalisation capitaliste et de liquidation de l’excellence académique [...] Cette destruction programmée de la culture, du savoir et de la recherche, cette déliquescence de l’enseignement supérieur, largement entamée après mai 68 par les divers gouvernements de droite, se sont aggravées sous la responsabilité de la "gauche" gouvernementale qui n’a cessé – au nom de "l’adaptation" à la construction européenne, de la mondialisation des marchés et de l’"esprit entrepreneurial"- de transformer l’Université en une grande surface commerciale, avec ses seuils de rentabilité, sa gestion comptable des ressources humaines et des "stocks" étudiants, ses retours sur investissements, son management autoritaire des locaux et bâtiments et ses objectifs capitalistes de valeur ajoutée [...] Aussi la droite n’a-t-elle eu, tout naturellement, qu’à parachever le travail de déminage effectué avec constance et conviction par la "gauche" politique, syndicale et pédagogique [...] Gauche et droite confondues, la même politique a dès lors fini par laminer en profondeur l’institution scolaire et universitaire ainsi que les grands organismes de recherche [...]
[...] rentabilité économique immédiate de la recherche appliquée, professionnalisation des doctorants, flexibilité accrue des chercheurs, soumission des programmes de recherche aux demandes régionales et patronales, "expertise" des résultats par des cabinets-conseils extérieurs à la communauté scientifique, mise en concurrence des centres et instituts de recherche selon le modèle libéral, chamboulement improvisé des cursus universitaires à coup de circulaires palimpsestes où toute "réforme" peut en cacher une autre dans la précipitation et le bricolage (le cas de la réforme LMD – licence-master-doctorat – est à cet égard un bon exemple de l’improvisation bureaucratique qui gangrène l’Université et met les enseignants-chercheurs dans des luttes de concurrence qui n’ont rien à envier aux célèbres paniers de crabes) . [...]
Dans un tel concert de dénigrement de la pensée et de régression de la réflexion critique, il a fallu – coûte que coûte, et même à contre-courant – faire le pari du concept en tant que force de pensée, force de libération également vis-à-vis de toutes les puissances qui prétendent asservir la pensée, lui assigner des limites ou des objectifs prédéterminés par les instances du pouvoir ou les intérêts du capital . [...]
Le texte incisif de Nicolas Oblin et Patrick Vassort est, à n’en pas douter, un bol d’air revigorant. Il reste cependant que la critique de l’Université, si elle ne veut pas rester une simple lamentation, se doit d’être associée à d’autres critiques institutionnelles et combinée à une stratégie de lutte politique. [...] " (Jean-Marie Brohm)

b. De Nicolas Oblin et Patrick Vassort

"A contre-courant des considérations actuelles sur l’Université, nous tentons au sein de cet ouvrage de penser les stratégies gouvernementales et libérales qui visent à "gérer" l’intégration de cette institution dans le processus global de production capitaliste, avec ses rendements et productivités, avec pour point nodal la compétition généralisée, [...] nous entendons montrer que la rationalisation de l’Université, des sciences, des champs disciplinaires qui la composent, des inter-relations entre l’institution et chacune des ses composantes (étudiants, enseignants-chercheurs, personnels IATOSS …), dialectiquement, engage celle-ci sur la voie de la destruction, de la disparition, de la scotomisation de ce qui permettrait l’accroissement de la vie [...] élites post-modernes qui n’imaginent la démocratie qu’au travers d’un système politique méritocratique. [...] autant d’éléments d’un projet de restructuration en profondeur visant l’assujettissement de l’Université aux visées économiques et politiques libérales [...]Dans un contexte de pénurie bien organisée, de crise bien entretenue, étudiants, enseignants, UFR, laboratoires, universités, sur fond de compétitions économiques et ppolitiquesterritoriales, nationales et internationales, sont soumis, non seulement à des logiques d’obligations de résultats, d’efficacité, de rendements à court terme, mais aussi et conséquemment à un système de valorisation du savoir totalement aliéné aux conjonctures économiques dominantes et qui n’a plus rien à voir avec les finalités culturelles, intellectuelles et humaines que nous devons poursuivre, en priorité, à l’Université. [...]
Les organismes internationaux qui aujourd’hui impulsent les politiques économiques internationales s’intéressent particulièrement aux secteurs de l’éducation qui peuvent devenir un marché porteur sur l’ensemble du globe. [...]
Dans la logique de déconstruction-reconstruction du LMD, de la possible mise en place de la modernisation et du rapport "Belloc" qui modifierait le statut des enseignants-chercheurs pour les placer sous un statut de contractuels locaux,,il est possible d’imaginer des diplômes sans cadrage national, c’est à dire sans possibilité de reconnaissance sur la totalité du territoire Quelles pourraient être alors les conséquences de telles décisions ? Nous pourrions tout d’abord imaginer que l’université, placée sous l’autorité du COS (Conseil d’Orientation Stratégique), institution créée afin de "chapeauter" les conseils centraux de l’université, soit chargée de répondre aux désirs et aux besoins des bassins d’emplois locaux, c’est-à-dire de former les étudiants aux métiers développés régionalement . [...] Tout le reste, les savoirs généraux qui font une culture et apportent une compréhension du monde – les sciences, l’histoire, la géographie, la littérature, la philosophie, les arts, l’économie -, tout cela n’a plus sa place dans une formation de base. [...]
Tout d’abord, soulignons combien les principaux syndicats étudiants – en dehors de quelques syndicats de lutte, tel la FS – passons sur leurs homologues enseignants, sont absents de tout débat essentiel sur la culture. [...]]
Luttons afin que l’Université devienne un lieu du "non encore advenu", "laboratoire" de tous les possibles, creuset de changements sociétaux (au nom de la justice sociale), bouillon et brouillons de la vie, espace d’émergence et de révélation de désirs, où la volonté de connaître soit sans limites ni conditions ![...]"

De nombreuses citations en renvois, des bibliographies en référence.

(1) La crise de l’université française de Nicolas OBLIN et Patrick VASSORT, préfacé par Jean-Marie BROHM, éditions L’Harmattan, Collection "Logiques Sociales", édition-diffusion 5-7, rue de l’école polytechnique, 75 005 Paris ; livre - annoncé pour commandes par l’intermédiaire de l’EDMP -avait, à cet effet, été déposé à notre librairie pendant la Semaine 2006 à Puivert).

(2) Cette présentation du livre "La crise de l'université française, traité critique contre une politique de l'anéantissement, est publiée dans le N° de septembre 2006 de la revue "L'émancipation syndicale et pédagogique" (courriels pour contacts : quentin.dauphine@free.fr ; Raymond.jousmet@wanadoo.fr ; quillateau.patrick@libertysurf.fr ; c.demel@tiscali.fr ; site http://www.emancipation-intersyndicale.org ) Il peut être commandé notamment à la librairie coopérative EDMP, 8, impasse Crozatier, 75 012.

Transmis par Henri Amadei

Université-emploi

ELB commence à travailler sur le rapport de l'université au travail : ce qui introduit au champ d'une histoire sociologique et politique du travail au 20ème siècle, par l'entrée de Daniel Cohen (et de la nouvelle génération d'intellectuels de gauche, ses disciples et voisins, et le caractère de leurs pratiques de l'engagement, telle que dessinées dans le dossier du Nouvel Obs récent). Introduit, également, à l'horizon des analyses marxiennes, et ses liens avec l'histoire des intellectuels.
Le rapport me paraît toucher à un point d'actualité : un nerf du champ intellectuel et politique présent. Je crois qu'on peut y rassembler :


  • emploi : comme la question sortie de la crise autour du CPE de ce printemps. Pourquoi "les jeunes" sont l'un des publics touchés particulièrement - affectés, attaqués - par la situation de l'emploi et la politique de l'emploi en France en ce moment. Pourquoi la catégorie des "jeunes" glisse vers celle des étudiants - après avoir été, en novembre dernier, celle des jeunes des banlieues, de lignage immigré, et "arabo-musulman". Pourquoi la réponse aux annonces de réformes du droit du travail se fait dans les universités. Pourquoi les universités deviennent le lieu - l'un des lieux, mais aussi le lieu - du conflit social. Stress point d'un présent politique. Si bien que la transformation des termes du débat aboutit, en passant par une référence facile à identifier comme forcée, manipulatrice, à 68 à propos des occupations de la Sorbonne, au grand Débat national "Université-emploi". La commission devait remettre un premier rapport au mois de juin je crois : elle annonçait une page d'information www.debat-universite-emploi.education.fr.
  • professionnalisation : le glissement donc vers la question de la professionnalisation, comme mission et modernité de l'université. Comme formulation moderne de sa mission sociale. Comme formulation, en particulier, de la question de la formation - et le souci de la "réussite" (le terme est associé aux anciens DEUG). Masters "recherche" et masters "professionalisants". Ici à New York on dirait humanistic contre vocational - cette alternative qui est en elle-même un encadrement idéologique. Et on débouche sur le grand champ ouvert de l'articulation de l'université avec la société dans le late capitalism.
  • les transformations du métier d'enseignant-chercheur. Voir le rapport Belloc (2003), après le rapport Espéret (2001). Charles Soulié, sociologue à Paris 8, fait un travail d'enquête et de repérage, à suivre. Il travaille en liaison avec l'ARESER, et je crois qu'il est pertinent aussi d'amener sur le champ de la question le petit volume publié par le collectif ARESER (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche) en 1997 : Quelques diagnostics et remèdes d'urgence pour une université en péril (Paris, Liber). Travaux liés à l'histoire de Sauvons la recherche (créé en mars 2004 - association toujours active, avec un site internet nourri). On déouche aussi sur la situation actuelle des syndicats.
  • l'histoire contemporaine de l'université, qu'il est important de suivre avec comparatisme : il faut savoir où en sont les institutions britanniques (le collapse étonnamment rapide du Centre for Critical and Cultural Theory de Cardiff, le temps passé aux Research Assessment Exercise et ses épuisements), les institutions publiques américaines. Moment pivot : l'Accord de Bologne, et la réforme LMD. Une histoire plus longue est aussi importante pour une perspective complexifiée sur le présent : par les histoires distinctives du rapport du savant et du politique (voir Weber). Aristocratique? en France, religieux-démocratique en "Amérique" (voir Tocqueville).

L'ARESER indique trois titres sur l'université :

  • De Montlibert (Christian), Savoir à vendre, Paris, Raisons d'agir éditions, 2004.
  • Abelard (collectif), Universitas calamitatum : le Livre noir des réformes universitaires, Broissieux, Ed. du Croquant (coll. Savoir/Agir), 2003. Présentation de l'ouvrage
  • De Montlibert (Christian), "Transformation du système scolaire et stratégies d'appropriation des biens scolaires", Regards Sociologiques, 2002, n°23, p. 113-123.

A voir aussi :

  • La Crise de l'université française : traité contre une politique de l'anéantissement. Nicolas Oblin, Patrick Vassort ; préface de Jean-Marie Brohm. Paris, Budapest, Kinshasa [etc.] : l'Harmattan, 2005.
  • The University in Ruins. Bill Readings. Cambridge (Mass.), London : Harvard UP, 1996.

L'université et le travail

Mon point de départ: l'hypothèse (suivant Daniel Cohen) des "périodes" modernes d'organisation du travail. D'abord, période industrielle avancée, le Fordisme structure les grandes entreprises, usines et institutions selon un modèle très hiérarchisé du travail, où les tâches sont distribuées de manière à "rentabiliser" les gestes ou actions des travailleurs, ce qui demande une spécialisation élevée de chaque poste. Ce type d'organisation part des usines mais contamine le tertiaire. On considère que la rentabilité est dans: la limitation de l'information à traiter pour chaque travailleur, et le perfectionnement dans l'accomplissement de tâches très spécifiques. Le "cadre", quant à lui, doit pouvoir superviser des actions multiples, mais dans des domaines définis. Ce qui caractérise l'emploi du "cadre" c'est justement la visibilité globale du fonctionnement général de l'entreprise ou de l'institution, ou de la chaîne de production. (Mais relatif au niveau)
Deuxième étape: fin du 20ème siècle, la "révolution" de l'information et informatique bouleverse la distribution traditionnelle des tâches SURTOUT dans le tertiaire mais aussi dans l'industrie. On considère dorénavant que la circulation de l'information (concernant la production, ou les objectifs de l'entreprise, évidemment) est la clé de la rentabilité. Cette information doit donc être maîtrisée par les employés quel que soit leur niveau, pour que leur "input" puisse être amélioré. L'idée (implicite, et telle que décrite par Daniel Cohen) étant qu'il faut au maximum limiter les "temps morts" dans le travail des employés, donc les rendre compatibles avec autant de fonctions que possible. Dans cette période de "post-fordisme", de multiples organismes, entreprises etc. ont procédé à des "réorganisations" du travail (un terme qui m'est bien familier, c'était la maladie qui courait dans toutes les grandes institutions de Washington dans les années 80). Ces réorganisations ont aidé aux dites entreprises à être compétitives, au prix peut-être de la santé des salariés.
Mais c'est logique car l'autre changement du post-fordisme, c'est que les directeurs d'entreprise sont plus des actionnaires que des salariés (contrairement à la période précédente). Leur action sur l'entreprise est plus axée vers la plusvalue générale d'un portefeuille souvent diversifié, que le bien-être au sein d'une même entreprise. eux peuvent toujours se recaser ailleurs.
Transposition au Universités: pas besoin d'être génial pour voir que la distribution du travail au niveau administratif, secrétarial, services divers, est structuré selon un principe fordiste: limitation des tâches et spécialisation. Cloisonnement des services, ignorance de comment ça se passe à côté voire on s'en fout, et pourquoi. Ce cloisonnement touche aussi les enseignants-chercheurs: qui a une vision générale de la grosse machine en y entrant, quelle université se préoccupe de décrire son fonctionnement interne? QUESTION: comment la "démocratie" universitaire peut-elle fonctionner dans ces conditions? Système fordiste==aussi, hiérarchie stricte, et fait du prince.... Ignorance politique.
Puis vient cahin caha, la nécessité de la "réorganisation": on commence par les plus individualistes, les moins syndiqués (un des avantages du fordisme, je pense, c'est qu'entre travailleurs spécialisés on s'unit): les enseignants chercheurs. La "révolution" de l'information permet l'explosion des tâches à accomplir, mais dans une illusion d'information, comme dans toute entreprise: à savoir que l'information qui circule est celle qui pourra mener au travail continu - au maximum. Donc: le temps^doit être compté, les compétences ouvertes au maximum: montage de projet, fabriquer les emplois du temps, mettre les cours en ligne, faire un budget, etc: l'enseignant chercheur modèle a un profil, c'est celui du "polyvalent". Et comme les cadres supérieurs, ils doivent être "experts" dans un domaine (mais on ne dit pas comment ils trouvent le temps de le devenir).
Donc deux ordres de travail tirent l'université à hue et à dia: l'inertie du fordisme, de la division des tâches à l'outrance qui provoque un certain aveuglement et détruit la vision globale de l'institution, d'une part. Et d'autre part le post-fordisme avancé par les réformes et les ministères comme structure idéale même pour le contenu des enseignements: polyvalence - bon an mal an "poussé" par certains cadres de l'université. But: compétivité. Effet interne: destruction de la recherche.
(vite dit, à étudier.)
E.L.B.