Wednesday, August 29, 2007

Lu : Multitudes, été 2007

Un coup d'oeil sur le sillage de travail de la revue Multitudes, qui fait son n° 29 en cet été 2007 (sorti en mai).
Majeure du n° 29 : Narrations postcoloniales - Mineure : Traduire Deleuze.
Repères : Toni Negri (Multitude. Guerre et démocratie à l'âge de l'Empire, avec Michael Hardt, sorti à La Découverte en 2004) ; Yann Moulier Boutang (directeur de rédaction - De l'esclavage au salariat. Economie historique du salariat bridé, PUF 1998) ; Sandra Laugier, Isabelle Stengers, Michael Hardt & Toni Negri, Peter Sloterdijk, G. Agamben aux comité de rédaction et conseil éditorial. Editions Amsterdam.
Avatars précédents de la revue : Futur antérieur, et ?
Repères théoriques : l'Empire de Hardt et Negri donc, Foucault et Deleuze (l'intellectuel spécifique et le biopolitique, la production des sujets, l'agencement collectif d'énonciation), "philosophies de la différence", Spivak,...

Livraisons précédentes : biopolitique et biopouvoir (n° 1 : mars 2000), art contemporain (deux numéros déjà consacrés, plus un sur la critique des institutions artistiques, et un sur les "pragmatiques architecturales"), propriété intellectuelle, postcolonial ("raison métisse", Empire, guerre et paix dans l'Empire, migrations en Europe, Europe, racisme institutionnel, postcolonial et politique de l'histoire), "philosophie politique des multitudes", capitalisme cognitif, travail dématérialisé, féminismes queer multitudes (soit : minorités et minorité), actualité (intermittence en été 2004, émeutes et la république mise à nu en hiver 2006, revenu garanti hiver 2007), biologie et écopolitique, médias et réseau (postmédia, réseau, mise en commun).

Dans ce numéro, en ouverture du dossier sur les narrations postcoloniales [problème et frein : la narration encore, boulet ; et Spivak - ces retards français ! Bon de pédaler très vite vers, en tout cas] : un article de Naoki Sakai (Cornell, études asiatiques - discours japonais, traduction et subjectivité) et Jon Solomon (Taiwan, études françaises - biopolitique de la traduction. Traducteur chinois de la Communauté désoeuvrée de Nancy - actif dans l'assocation Alternative francophone, et contributeur à Traces, revue transnationale US, Japon, Chine, Corée), présentant le cadre argumentaire de leur volume Translation, Biopolitics, Colonial Difference, n°4 de la revue Traces (Hong Kong UP, 2006).
L'article s'intitule également "Traduction, biopolitique, et différence coloniale". En cadre du travail, une analyse des conditions actuelles par cette description : "Sous le régime postfordiste du travail immatériel", et sa logique de la communication, et du savoir. La "traduction culturelle" (problème) comme point critique de la différence, et comme tel : critique de la notion de "culture" comme outil du lissage politique du colonialisme occidental (lié à la modernité, et au national, avec son corrolaire d'une anthropologie de la différence civilisationnelle, et au capitalisme - ce complexe), et possibilité d'ouvrir une ligne de fuite vers la traduction comme pratique sociale, agencement collectif d'énonciation, et mode d'adresse hétérolingue.

C'est un autre monde théorique que celui du Débat - wow !
Facile à repérer, dès le thème retenu pour le n° en cours des 2 revues : la culture générale pour Le Débat, Deleuze traduction postcolonial et biopolitique du capitalisme pour Multitudes. Le franco-français regardant vers les Humanités, l'étranger et ses fuites et frayages. Eventuellement, son charabia - de connivence -, aussi. Un mode particulier, réalisation inattendue et frein contre-critique (contre-clinique, il faudra dire), de l'agencement collectif...

PS : Tiens, je tombe aussi sur ce "nuage de mots clés", sur le site web de Multitudes :

art (contemporain), musique, cinéma, autochtones, indigènes, autonomie, biopolitique, biopouvoir, capitalisme (cognitif), colonialisme, post-colonialisme, communisme, post-communisme, concepts, démocratie (radicale), deuxième écologie, décroissance, soutenabilité, référentialisme, pragmatisme, discipline, contrôle, écologie mentale, égalité, empire, marges de l’empire, enclosures, brevets, droits d’auteur, espace public, commun, étatisme, souverainisme, nationalisme, éthique (bio-), europe, fédéralisme, expérimentation, expertise, formes de vie, genre(s), féminisme(s), queer, guerre (anti-), hacktivisme, information, informationnel, informatique, intelligence collective, general intellect, libéralisme, néolibéralisme, marché libre, peer2peer, gratuité, marxiens, marxismes, matérialisme, migrations, modernité (post-), mondialisation, mouvements, luttes, collectifs, multitude(s), peuple, classes, nature, naturalismes, numérique, opéraïsme, pluralisme, multiculturalisme, postmédia, revenu (garanti), protection sociale, science, subjectivité, subjectivations, travail, valeur-travail, travail immatériel, universalisme, républicanisme, villes, métropoles, territo(-ires)(-rialisation), vivant et artifice

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Thursday, August 23, 2007

Querelles : aux sources critiques - Agenda #13

En répertoire, so far - tous degrés, contextes, époques, confondus et désordonnés :

. l'art contemporain - Jimenez etc., débat français auquel renvoie Guy Scarpetta quand il parle des Nouveaux réactionnaires pour l'une des premières fois. Fin des années 90 je crois.
. l'art et le SIDA, l'art et le nouveau conservatisme décomplexé, après les scandales de l'expo Mappelthorpe etc. aux Etats-Unis - rapporté et analysé pour Frédéric Martel dans De la culture en Amérique.
. Graff : "teaching the conflicts" et les Culture Wars américaines - dans le même sillage : querelle culturelle du Canon, Bloom et Bloom, réactionnaires du "multiculturalism" comme atteinte aux Humanities et The American Mind. Un bras pointe vers Léo Strauss, un autre vers le ethical turn de Nussbaum et al. Puis, le procès de academic freedom.
. aussi : la Cold Culture (voir Martel)
. la "littérature à l'estomac", de Pierre Jourde, et le remue-ménage au Monde des livres.
. les Nouveaux réacs, octobre 2002, suite à la parution du pamphlet de Lindenberg.
. Hernani, Anciens et Modernes (avec Compagnon dans la balance, et sa mise en série déshistorique de tout un nombre : voir La Littérature, pour quoi faire, p. 24), etc. : tous les heavyweights, qui sont au-delà du symptomatique.
. le Conflit des facultés, et le Kampfplazt de la métaphysique, Kant.

Le relevé est à poursuivre.

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Actualité des sciences humaines

Bien sûr c'est un dictionnaire - soit, travail de compilation plus que de création, d'érudition plutôt que de critique ; et une tendance qu'on a déjà observé, avec des commentaires déclinistes sur l'état de la critique et de la pensée en France depuis... je ne sais toujours pas que placer de plus pertinent pour cette histoire que la date de cessation de la référence marxiste.
Mais.
Dans leur Avant-propos au Dictionnaire des sciences humaines (PUF, octobre 2006), Suylvie Mesure (sociologue, CNRS) et Patrick Savidan (philosophe, Paris IV - que d'ailleurs il appelle Paris-Sorbonne) donnent un argumentaire qui fait un travail réel de situation et problématisation. Et orientent le volume massif (plus de 1300 p., 565 entrées et 350 auteurs français et étrangers) dans une réflexion sur la disciplinarité.

(pas fini d'écrire - à suivre...)

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La littérature, pour : les valeurs - le retour aux

So much! to write about Compagnon. On n'en finit avec ce noeud si parlant, qui parle et qui parle, d'une situation actuelle de la critique : un discours officiel sur la littérature et les études littéraires, sur les humanités (comme point de vue sur les sciences humaines - la question est juste ; la perspective idéologique la reboucle. C'est Antoine Compagnon élu à la Chaire de littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie) ; un discours intellectuel dominant (c'est Le Débat, et les développements des positions Ferry et Renaut qui ramènent au sujet du kantisme, libéralisme contre les "philosophismes" de 68 - et fabriquent, en plein accord avec la direction politique sortie des élections présidentielles de mai, une politique des valeurs, moralisation républicaine) ; et tout simplement tout plainly donc un état politique.

Ceci à la lecture de la leçon inaugurale de Compagnon au Collège de France, tenue en novembre 2006 : La Littérature, pour quoi faire? (Collège de France / Fayard, 2007), et le texte d'AB, "De la critique au consensus : l'effet Compagnon", à paraître dans le dossier de SM sur la critique dans un prochain numéro du Français aujourd'hui, je crois.

Echeveau, fils divers nombreux mais bien tous convergents.
. Enjeu central, crux et hub : une conception de la critique (soit du savoir-pouvoir), son "effet" (AB) de bouclage politique par la moralisation (une politique des valeurs), et l'instrumentalisation de la littérature dans le processus. A la question "poétique et politique", une réponse en forme de : "lettres et morale du soi - dans un présent culturel déculturé".
. Enjeu central encore : l'institutionnalisation (AB), l'officialisation d'une orthodoxie politico-culturelle, une idéologie, dont il faut apprendre à décrypter soigneusement, patiemment, les actes qui continûment montent les murs, masquent les problèmes, rendent sourds à l'historicité qui pousse de tous les côtés, nécessairement, dans les fissures et en lignes de fuites intensives.
. Un échec (AB) en effet, pour une tâche critique qui se donne l'injonction d'un travail de "pertinence" (leçon, p. 32) au sein d'un présent qui demanderait des comptes. Et bute, exactement, sur le problème de la modernité. Exactement, ce que la position de Compagnon ne peut pas appréhender ; plus qu'un objet central de ses recherches, un "démon" qui ne serait plus un pantin.

Voilà : il y a une proposition critique ; elle est anticritique ; en cela elle met en lumière des recoins importants d'une situation contemporaine, et permet de pointer dans ces composés idéologiques du moment des enjeux utiles à analyser pour les ressources du politique. Générateurs.
Dans le désordre, et à finir de rédiger :
  1. "pour quoi faire?" - la rhétorique de provocation proposée en titre, en bannière (let's talk straight, cut the crap - toutes les potentialités du populisme y sont en germe. C'est en effet une question : il s'agit des comment de sa reprise critique), est une proposition de problématique ; le geste critique annoncé. Mais devient clair au cours du développement que la question n'est pas le produit d'une problématisation propre, pas l'effet d'une prise critique sur un présent analysé par un point de vue (- un sujet de la critique. Un auteur). L'injonction n'est que celle de la rumeur néolibérale ordinaire, qui nous fait depuis des années une ambiance d'utilitarisme où sont pris à parti et systématiquement attaqués tous les lieux du public - non pas, par exemple, la littérature (qui perdure très bien dans ses modes capitalistes), mais les études littéraires.
  2. le "doute" - et la conciliation, et la mauvaise conscience. Et la "défense", ultimately, comme mode critique - sa faiblesse, son négatif de pouvoir.
  3. la seconde main - et "la parole du on" (AB).
  4. environnement discursif et idéologique : Bloom (qui lui développe une théorie, pointue et réorganisatrice des enjeux, du "canon littéraire", soit une théorie de la valeur), Kundera, les Great Books (ici on est à un pas de Léo Strauss), Fumaroli
  5. la morale - la littérature pour une politique des valeurs. cf ici Eric Deschavanne sur l'enseignement philosophique scolaire (Le Débat, ami-août 2007) et la nécessité des contenus, contre l'historicité. Cf tout ce numéro du Débat, 145, consacré à l'école, la culture générale, et la jeunesse (ce composé-là) - et la contribution de Compagnon
  6. les lettres et les lettrés (15), la culture des cultivés, l'humaniste
  7. actualité : la diversité des littératures françaises : par la langue du Moyen-Age...
  8. à AB : une autre couche de paramètres est en jeu, la référence américaine, que Compagnon passe le plus souvent à l'implicite. Le "canon" est un problème national de l'Amérique, de même que la "théorie" - avec ses contextes spécifiques. C'est intéressant que Compagnon le passe le plus souvent sous silence. Dans le domaine anglophone, on a Bloom dans le paysage, mais aussi Terry Eagleton, et son texte, tout simple, qui ouvre Introduction to Literary Theory de 1983 : "What is Literature?" et auquel la question de la question (de "Qu'est-ce que" à "Que peut", "autrement dit 'pour quoi faire?' " - pp. 32-33. L' "autrement dit" est un sleight of hand tout à fait repérable, ici), dans la leçon, fait un écho étouffé. Le texte d'Eagleton est articulé autour, justement, d'une historicisation de la question, et débouche vers un positionnement théorique et critique réel (marxiste, historiciste, et incisif), qui coupe de nouvelles avenues dans l'histoire et les concepts entourant le littéraire ; bousculant les ontologies successives pour exiger la pleine vue du problème de l'idéologie, et de la nature collective des questions de la lecture. Ethique et politique effectives, qui font entendrent par contraste la faiblesse théorique de l'individualisme moral proposé par l' "éthique de la lecture" dans la leçon, en tant que le geste de dépolitisation qu'il constitue. C'est en positionnement par rapport à ces deux, Bloom et Eagleton, pour commencer, que la pratique "critique" de Compagnon fait sens. Et le rôle qu'il se donne et qu'on lui laisse prendre de voix d'autorité pour les Lettres - grande voix culturelle du cultural critic, figure intellectuelle qui a son histoire spécifique, ses histoires, aux Etats-Unis et en Angleterre. La dimension, parce qu' aussi elle est masquée, importe. Il faut aussi ajouter à ce paysage fantôme le ethical turn dont Compagnon ne dit rien tout en marchant dans ses traces. Et penser à Jean-Michel Rabaté, qui a lui aussi fait l'expérience de la déportation intellectuelle France-Amérique, mais produit, par exemple avec le livre manifeste de 2002, The Future of Theory, une autre qualité d'analyse. Ce qui veut dire qu'il y a aussi tout ce double-fond du discours de Compagnon : la formation discursive "Against Theory" fournie qui s'est constituée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, depuis 1982 (texte de Knapp & Michaels).
  9. je n'ai pas fini - à suivre... Il y a, d'ailleurs, à positionner Fabula également dans cet ensemble.

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Wednesday, August 22, 2007

Agenda #12

Il y a des choses à démêler de pointes émergées rencontrées dans les discours depuis mon retour à Paris, sur :

. les sciences humaines - avec la parution en octobre 2006 du Dictionnaire des sciences humaines, dirigé par Sylvie Mesure et Patrick Savidan (PUF) ; avec ce qu'ELB rapporte et analyse de l'avenir des territoires scientifiques institutionnels du faisceau des disciplines, depuis le coeur du CNRS jusqu'aux zones de l'édition etc., avec son urgence mauvaise. Je veux prendre le temps de noter les questions clés, actives, qui sont placées en fer de lance du volume dans l'Avant-propos des directeurs de l'ouvrage : geste discursif et anthropo-logique déclaré.

. la "littérature-monde", ou le début d'un vrai mouvement de la littérature en français, bousculée par les francophones non français. Enfin un phénomène qui répond aux années 80 de du plan anglophone - Rushdie en tête. Mais 25 ans plus tard c'est dans des termes bougés, renouvelés, et de toute façon spécifiques. Il faudra suivre ces événements, ces développements. Et pour commencer le volume Pour une littérature-monde, dirigé par Michel Le Bris et Jean Rouaud, paru chez Gallimard (2007), où ont contribué, entre autres, Tabar Ben Jalloun, Maryse Condé, Edouard Glissant, Nancy Huston... A France Culture ce midi (Contre-expertise - mais le lien ne restera pas longtemps actif sans doute), dans une émission consacrée à la question "La littérature française a-t-elle peur du monde?", avec Jean Rouaud interviewé, j'apprends que Michel Le Bris est bien celui des rencontres "Etonnants voyageurs" de Saint Malo, et que le volume manifeste est autre chose qu'un recueil de textes sur les ou des "littératures francophones" - mais un geste éditorial précis, qui prend acte de la surdité de la scène littéraire de France, et déclare que l'activité littéraire postcoloniale en français (je n'ai pas entendu le terme, c'est moi qui le joint à l'ensemble ici - il me convient pour marquer autre chose justement qu'une différence entre de France et des ex-colonies et dépendances culturelles, puisqu'y participent et y mobilisent des écrivains français qui sont passés de l'autre côté d'un rapport impérialiste à la nation) - déclare donc que l'activité littéraire postcoloniale en français peut se passer de ce rapport de tutelle, et partir sur sa ligne de créativité à sa propre vitesse. Par exemple avec le public qu'elle trouve chez les lecteurs et chercheurs américains ; ici espace de dialogue.

. Antoine Compagnon, soit : un cliché d'actualité pour une situation de l'orthodoxie littéraire du moment. Son élection au Collège de France, sa leçon inaugurale - La Littérature, pour quoi faire? (2007) -, et sa participation régulière au Débat, où il vient prendre sa place dans un paysage intellectuel/idéologique français bien identifiable. Où Compagnon et Le Débat s'identifient l'un l'autre. (Dernier numéro, sur l'école et la culture générale.)

. ensuite, Barbara Cassin, mais là j'entre dans le programme de travail de l'année avec ELB - et la question du moteur de recherche. Question de la conception de la recherche, et ses déplacements actuels, déracinements et boulerversements. C'est avec deux articles du Diplo d'août, qui continuent le débat sur la société de la connaissance - Pierre Lévy et Armand Mattelart.

. c'est aussi la question des sciences humaines devant la société de la connaissance. Boucle. (Voir, ici, le volume Advancing Knowledge and the Knowledge Economy, Brian Kahin & Dominique Foray eds., MIT Press, 2006 - et les questions en série : think tanks, "société civile" avec les lobbies pour acteurs, technocratie européenne, R&D, sauvons-la-recherche etc.)

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Tuesday, August 21, 2007

Pensée unique, TINA

Bon, j'aime bien cette notion qui s'est figée en un terme, acronyme, et marqueur idéologique du néolibéralisme : TINA - There Is No Alternative. Vocabulaire d'initiés, une sorte d'alter-speak.
C'est à faire réverbérer avec cet autre pronouncement de Margaret Thatcher : There is no such thing as society. Qui dit exactement, et tout.

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Cultures, musées, art

Quelques termes qui marquent le projet du Musée du Quai Branly, à noter pour commencer une écoute du travail muséologique qui semble entrepris, et divers chantiers ouverts : lignes de travail culturel.

. je ne retrouve pas dans les premiers documents d'accès la référence aux "arts premiers". Mais : le musée lui-même s'appelle Musée du Quai Branly - il installe un lieu-point de vue, au "pied de la Tour Eiffel" (je cite). Il se donne comme sous-dénomination : "musée des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques" (pourquoi, ensuite, les collections sont-elles présentées par continent mais dans un ordre différent, l'Océanie ouvrant le circuit?), et s'identifie par "une approche renouvelée des cultures non-occidentales". Comment "culture/s" vient se placer par rapport au couple art/s - civilisation/s : c'est à ouvrir.
. librairie, "salon de lecture" (quelle "culture", cultivée-lettrée, là?), théâtre (hommage à Lévi-Strauss), médiathèque, ouverture gratuite les premiers dimanches des mois, une programmation culturelle fournie de théâtre danse musique débats rencontres, y compris un accueil pédagogique des enfants scolaires et universitaires, "université populaire" (occupée en ce moment notamment par des projets tels que "une histoire mondiale de la colonisation", et "les controverses sur l'Universalité" et les Droits de l'homme), audioguides, parcours pour les visiteurs handicappés (tactiles audio visuel), site Internet épais (dont proposition de plusieurs itinéraires de visite - mais surtout appareil scientifique : catalogues, iconothèque, etc.), encyclopédie multimédia de la recherche anthropologique, série ouverte de 6 expositions "dossier" qui zooment sur des "fleurons de la collection du musée" - et actuellement, pour les 18 premiers mois, l'exposition d'anthropologie générale, Editions du musée, liaison avec Gradhiva (revue d'anthropologie et de muséologie - y a-t-il eu un tournant, dans l'histoire de cette revue, avec la constitution du musée?) bourses et prix de thèse, - c'est ambitieux et même simplement complet. Y compris un service de lettre d'information (n° actuel), magazine mensuel sur le site de l'actualité relative aux arts et cultures non occidentales...
. à suivre certainement : Photoquai, biennale de l'image, qui se tiendra au début novembre dans divers lieux de Paris en alternance avec le Mois de la photo
. parmi les volumes déjà édités par les Editions du musée : Chefs d'oeuvre du musée du Quai Branly - la notion-même est importante. Que les civilisations soient des cultures, avec un art (et non des arts), et des artistes - même anonyme, ou déclinant une diversité historique des statuts du sujet de l'art et de authorship.
. à voir en particulier, outre le guide du musée, qui doit poser les vecteurs de son travail de discours et de savoir, le volume issu des rencontres inaugurales, Le Dialogue des cultures, publié par Babel :
Actes des rencontres inaugurales du musée du quai Branly
Sous la direction de Bruno Latour
20 juin 2006
Le musée du quai Branly a ouvert ses portes en juin 2006. A cette occasion, des personnalités du monde entier se sont réunies autour de tables rondes pour se livrer à une réflexion fondamentale sur l’avenir d’une telle institution.
Qui possède les objets ? Quelle est la place de l’art contemporain dans un musée dédié essentiellement à l’art traditionnel [noter le singulier], le musée est-il un espace laïque ou peut-il prétendre être un espace sacré ? Quel discours tenir sur les œuvres ? Comment aborder le problème de l’authenticité ? Comment mettre en valeur les patrimoines immatériels ? A quel public s’adresse-t-on ? Quel est le rôle de la coopération internationale ?
Autant de questions auxquelles des chercheurs, des artistes, des conservateurs, des philosophes, des écrivains se sont efforcés de répondre, avec ce souhait, partagé par tous, que le musée du quai Branly ait vocation à s’ouvrir sur le monde, à développer des échanges avec les pays d’origine des collections et à s’enrichir de ce dialogue permanent.

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L'Europe société de la connaissance

Les nouveaux rapports du savoir-pouvoir, toujours. L'expertise, et l'influence (ces acteurs contemporains que sont les "marchands d'influence"), comme mode du rapport au politique. Et l'Europe, comme un de leurs terrains privilégiés. L'Europe est un lieu majeur de la modernité du politique actuellement - autre chose que la mondialisation, autre chose que le rapport postcolonial, mais tous ensemble modes nouveaux du national, post-national.
Je reçois cette pub du European Training Institute - complexe éloquent, représentatif, pour moi, de cet état du savoir-pouvoir : des organismes de formation d'un type nouveau, écoles professionnelles et lieux de passage pour des formations continues, points d'amarrage provisoires dans les parcours flexibles des carrières ; bases pédagogiques d'un enseignement technique qui vient se placer dans le paysage des établissements en déplaçant l'ensemble de la carte vers les logiques néocapitalistes de la "société de la connaissance". Poussent dans le même sens que les think tanks, la professionnalisation des diplômes universitaires, et le renversement de la logique de recherche en celle du R&D - dans laquelle s'effrite la notion même de science, douce ou dure.
L'Europe est donc quelque chose à quoi il faut se former, à une technocratie spécialisée. Les termes de la pub pointent précisément :
. l'enseignement est un training - et l'établissement un institute. (En France aussi on appelle Institut les innovations dans la carte des établissements du savoir - cette introduction critique lève le cran d'arrêt d'une structuration de la valeur scientifique, et vient poser la question de la valeur : tout y est a priori possible, du critique à l'idéologique.)
. les European Public Affairs (and Lobbying, dit le site de l'ETI) relèvent d'une formation technocratique : ça déplace la question du public. On en revient à la question de "l'élite" de la "connaissance". Le dérogatif "élite" sert à un populisme de droite pour attaquer à la fois le scientifique et le public, et à accompagner de commentaire satisfait le Parti socialiste dans sa ruine - c'est toujours ça de gagné. Par cet embrayeur discursif contre-critique qui échange les valeurs de scientifique et de "connaissance" : elle, bannière de la modernité, avec ses fictions de démocratie égalitaire (autoroutes de l'information) et son bouclage technocratique, qui kidnappe le politique. Il en va donc de la nature publique du savoir comme bien commun - à cela, répondre par la coopérative critique.
. "fully interactive" est intéressant aussi. Il faut du participatif - plus de lecteurs, plus que des auteurs - , et de la métaphore informatique. L'information comme interaction : cette fiction contemporaine aussi. Quel enseignement, quel dialogue, quelle lecture, ne sont pas interactifs? et d'autre part, proposer l'interactif (référence au jeu vidéo - c'est ce qui me vient à l'esprit dans l'écoute culturelle du mot) comme mode de l'intersubjectif politique, c'est l'orienter très agressivement, très-idéologiquement, dans le canal où précipite aussi la "connaissance" : un 1 + 1 du politique. Qui démaille le public.
. "Public Affairs Management" marque, aussi. D'abord "Mangement" est drôle, petit coup symptomatique dont on peut s'égayer - ces bonnes étincelles d'énergie dans de travail critique. Puis : le vocabulaire, et donc le cadre idéologique, de la gestion, commerciale, pour concevoir la vie du public.
. "the best ways of influencing their policies". Bon. La politique comme influence, donc. Logique du lobbying. Qui prend à l'envers, et donc retourne de force, le processus du politique. Et démaille, plus précisément, la démocratie. Aussi : policy contre politique. L'Europe n'est pas une entité politique, d'accord - et tout ramant en sens inverse, s'éloigne toujours de son utopie.
. bien entendu, l'ETI propose des "Public and customised programmes". Au moins il écrit en anglais britannique.

Texte de la pub :

Dear Madam, Dear Sir
European Training Institute is the leading EU training centre in Brussels offering a full range of Programmes ans Seminars dedicated to European Public Affairs.
ETI programmes and seminars are fully interactive. They examine all aspects of Public Affairs Mangement, the working of the European Institutions and the best ways of influencing their policies [MORE INFO]
ETI also makes available a large range of Publications. If you are interested in the EU and European Public affairs, this section presents essential reading [MORE
INFO]
Order ETI's latest publication here: European Lobbying by Daniel Guéguen
Each participant to ETI Seminars will receive a free one-month subscribtion to EUROPOLITICS

Et en bandeau sur la page d'entrée du site, comme sa devise : "There is no room for amateurism... Boost your EU Skills". (Entendre dans "skills" les "compétences" comme grilles et calibreurs aux formes desquels on nous demande de réformer l'université et l'école - ce qui devrait en effet permettre leur technologisation-professionalisation). Noter bien sûr, également, que l'alternative au technocratique est rejeté à l'amateurisme. Exclusive professionnelle du politique.
Parmi les objets proposés pour ce savoir contemporain : "comitology" (I just love that. And not just "comitology", but "comitology reform" - why not supersize the process, pour crypter encore un peu le pouvoir), "funding" - capital, naturellement, et nerf de la guerre -, "communication and media", lobbying...

Enfin, une ressource importante : une liste de liens qui donne accès en effet à une immense formation discursive, dont il faut entendre le brouhaha performatif ambiant, et déterminant pour le présent. Liste des sites des institutions européennes, des agences (la notion est à faire parler aussi), des institutions internationales qui sont entées aux questions de la technocratie européenne, statistiques de l'Europe, et outils pour la recherche et l'identifications des acteurs, textes, termes, "jobs" de l'Europe de Bruxelles.

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