Tuesday, March 13, 2007

Les vies universitaires (fusées)

Il faudra que j'y revienne mais pour dès maintenant, noter :

l'étonnant chapitre de French Theory, de Cusset, sur "Etudiants et usagers". Me donnant beaucoup de food for thought, et je n'ai pas encore bien identifié pourquoi. Je suis juste au bord de.
D'abord, qu'à cet aspect des choses soit consacré un chapitre propre, lui donne une place singulière. Le chapitre est mince, mais l'effet est frappant. C'est un geste rhétorique-théorique, incisif. Un point de vue sur l'histoire, discret, mais. Prend une place parmi les autres espaces plus balisés, institués par des méthodes, de l'histoire intellectuelle.
Quelque chose me touche ici, alors que je poursuis ma traversée aveugle ("on the flat in the crowd half-blind with dust", à la woolfienne) des milieux discursifs de l'université américaine - puisqu'il n'y en a pas. Me touche parce qu'on approche de l'expérience culturelle, infrathéorique et criante à la fois, alors que je vis dans ce noeud d'un quotidien d'étranger où je m'avance nécessairement à chaque pas et personnellement sur une question théorique politique. Sur le fil du personnel et du subjectif, et du professionnel. Avec les égratignures ou flatteries ou complaisance narcissiques correspondantes. Où je cherche - la vie à Paris 8 est le même milieu - à deflect à filtrer à médiatiser (je le comprends lentement dans cette année incognito, par défense du corps interposé ; mon corps bien intelligent du politique ; thank god mon corps sage en sait plus que moi - il y a à médiatiser le rapport au politique, savoir les processus intimes de la médiation, et déconfondre à tour de bras le personnel du -- etc.) la situation, le quotidien, le travail, la vie de travail intellectuel.

Cusset prend cette fine tangente étonnante donc, où on n'est plus dans l'histoire intellectuelle, l'histoire institutionnelle (de ça il en fait peu) ; où, il le note lui-même, la perspective sociologique n'est pas exactement celle qui peut rendre visibles intelligibles les phénomènes. Une histoire culturelle, on est déjà dans du plus délicat, si on va jusqu'au ras effectivement - des intimes de vie. Il parle de "pratiques", "usages" (il y a Foucault, alors, Certeau?. Ce n'est plus exactement la même chose). J'ai envie de dire une histoire morale, une histoire des subjectivités, modes de subjectivations. L'université américaine comme lieu, de toute façon, d'une telle question : espace peut-être curieusement apolitique, où la question est éthique plus que politique (c'est-à-dire que ce décrochement y est fait), et celle d'une éducation plus que d'un enseignement d'ailleurs : ça aussi fait partie du bloc culturel-politique. Bildungtheory, écrit Cusset. Quatre années dans l'espace replié du campus, à parfaire une adolescence, et une socialisation. Une espère de pré-politique, pré-société. Exploration et expériences de soi. (Y sentir la contribution d'une origine religieuse des établissements, et de l'institution plus généralement, y compris dans ses réalisations beaucoup plus tardives, séculaires et franchement vocational pour une Amérique plus yankee que puritaine.)

Quelque chose dans la traduction, aussi. Ici, question du travail que fait Cusset, et de la crête à laquelle il se place. Voir les nouveaux territoires, plans, très fins, qui s'y ouvrent délicatement à la vue. Par le rapport d'étranger. Ce qu'un point de vue français et européen (les deux se superposent sans s'équivaloir, justement) peut faire entendre sur la question de la vie universitaire. En France on parle de la vie étudiante. On a des CEVU : études et vie universitaire. Ici on parle de "our students' lives" -- dans le discours de la Composition, qui se travaille une identité disciplinaire dans un rapport plus rapproché aux étudiants que -- etc. ; dans les points de vue des jeunes collègues dévoués aux étudiants défavorisés de Brooklyn College ; dans, I suppose, les 20 ans de Culture Wars où on a vécu la question conflictuelle de la représentation des minorités dans les effectifs étudiants et les modifications des pratiques qu'elle nécessite. On parle de "student-centered campuses" aussi - mais là on est dans le discours de l'administration, soit passé du côté de la langue de bois de l'université dans la mondialisation en temps d'hyper-capitalisme (found the word today, feeling quite fondly satisfied with it for today). A Oxford au milieu des 1980s, on parlait de "student life" (et ici aussi, à mon grand désarroi, et révolte du corps encore une fois, l'université comme socialisation. Mon rapport biographique au travail intellectuel est donc bien de part en part une vie politique ; avec ses révulsions).

Le point délicat, c'est le moment des notes de Cusset sur la tradition pédagogique américaine. Presque hypersensible, j'y suis. Le survol, le survey, le rapport à l'extrait, au reader, à la discussion de groupe. Où on joue une socialisation, une individuation - moins qu'un savoir. La question alors, brûlante (on se tape la tête contre les murs), du texte et du langage et du discours. J'y ajoute le rappel d'une de mes premières expériences ici : la sensation d'une invisibilité du langage, que j'associais tentatively à une absence de (superficialité de) formation à la langue, l'anglais, à l'école. Me rappelant de l'expérience de l'école primaire à Gaydon (Angleterre, 1970s). Après on file vite vers le pragmatisme, la philosophie analytique, les questions de la vérité et de la réalité. Cusset notait d'entrée de jeu : un rapport à la vérité, depuis la base culturelle d'une politique religieuse.
J'ai horreur de la vérité et de ses cultures.
Il y a, alors, cet étrange statut, ou fonctionnement, culturel, du concept. Ses "usages" (mais c'est déjà une façon de voir). Où l'étranger fait son travail difficile de perplexité. Et qui n'est pas tout à fait la même question que celle que découvre la traduction.
La culture et les cultures, point de vie et bien névralgique. C'est très intime et assez violent.

Je suis sur un noeud, vif, coeur actif. Pour l'instant ça tourne. ça cohère. J'attends que ça fasse un trait, que ça se file, en quelque chose que je pourrai parler.

Labels: , , , ,

0 Comments:

Post a Comment

<< Home