Wednesday, April 18, 2007

The best teachers : vue sur le savoir-pouvoir

Lecture de Ken Bain's What the Best College Teachers Do (Harvard UP, 2004), pour le groupe de discussion organisé par le Center for Teaching du collège, puis rencontre avec l'auteur. Deux notes :

. comme avec Richard Sennett, impression d'une drôle de méthodologie, à la limite du scientifique - j'avais écrit "pragmatique", mais ce serait plutôt "psychologique". Sennett dit "social psychology". Il amarre son discours sur la notion de character ; je la relie avec ce qui est peut-être, je devine, le centre de gravité de son travail : "public man" du 18ème, des cafés de Londres, modèle parallèle (il faudrait voir les dates, et les échanges éventuels) de celui de l'Espace public d'Habermas. Un point de vue qui a une tendance un peu molle à l'historique, et une tendance plus opératoire (l'historique s'efface et perd de sa capacité à fournir de l'analyse pour l'objet d'étude) et toujours un peu molle à la psychologie sociale, qu'il appelle aussi "anthropologie". Etude des comportements, jusqu'aux parages de la morale publique et du psychologisme.
Bain aussi parle d'anthropologie : parle, dans ses entretiens et moyens d'étude, de moyens appartenant à l'histoire, à l'analyse littéraire, au journalisme d'investigation et à l'anthropologie (12). Qu'est-ce que c'est que ça? La collègue de la School of Education rencontrée hier au collège voit dans les sciences sociales une distinction entre une méthodologie quantitative des américaines, en face d'une théorique française. Ici c'est encore un autre plan. Est-ce que "anthropologique" permet ce "middle" de Mitchell, la "soft science" de l'"ethical turn"[tiens, je ne pensais pas aux sciences dures / sciences humaines françaises].
Cela tire du côté du motivational, surtout. Part remarquable des conditions discursives actuelles, aux Etats-Unis tout particulièrement, mais dans le modèle anglo-américain de la culture du management plus largement. Coaching (en confluence évidente, il me semble, avec la prédication protestante, sa tradition rhétorique inscrite dans la culture politique américaine - la catholique serait la direction de conscience, et l'éminence grise ?), jusqu'à life coaching. Dans la section Business de Barnes and Noble's (il faut que je note cette carte du savoir-pouvoir - agenda), c'est marqué par la zone "Profiles", voisine de "Leadership". The best business leaders, j'imagine. Success.
Que font les sciences de l'éducation? Ici -- et du coup en France? Mystère. Une des disciplines qu'on ne croise pas, depuis les Lettres et Langues, curieusement - malgré le didacticisme assez appuyé de l'Anglais en particulier. Leur rapport à la psychologie, et au paradigme de la cognition. A la sociologie, dans l'autre direction.
On n'est pas loin de la langue sociale du management : "best college teachers" : me rappelle la notion néolibérale de "best practice" -- et "does it work? what works best?" (cf Revitalizing Undergraduate Science: Why Some Things Work and Most Don't, Sheila Tobias, Tucson, Research Corporation [what's that?], 1992), marque culturelle américaine, là, avec ses traditions élaborées dans la philosophie pragmatiste --, ainsi que "excellence". Un pragmatisme pratique, appliqué, qui gomme les contextes : histoire, politique. Best. Pourquoi la compétition? Plus la logique du rating. (J'ai trouvé étonnant que l'évaluation des enseignants se pratique depuis autour de 1975.)
Des titres de périodiques de recherche : Journal of Excellence in College Teaching (can you believe it?, n°1 en 1990) ; Journal of Educational Psychology, Journal of Personality and Social Psychology.

. mais surtout : faire porter à l'individu, presque déprofessionnalisé, comme personne, la responsabilité de la valeur (il sera évalué dessus); responsabilité du "best". Socio-professional burden of proof. Comme avec Sennett : le teacher est une personne. La réflexion pédagogique et disciplinaire (cette question a du mal à tenir dans le réseau du discours ici - elle n'est pas ignorée tout à fait, mais est repeatedly & more or less discreetly sidelined) est placée dans le terrain d'un concern individuel, de l'enseignant avec ses groupes d'étudiants, leurs désirs attentes et histoires et émotions intellectuelles.
Quand la question critique des grades apparaît, comme contre-pédagogique, on met bien les choses au compte d'une certaine "academic culture" (35), mais on ne bifurque pas vers une action de ce côté. On a déjà demandé aux enseignants d'avoir les vues larges sur la situation de leur discipline et les processus du savoir ; mais on ne demande qu'à lui d'améliorer - puisqu'avec best il y a toujours aussi le to better, to ameliorate. Langage de l'identité des institutions et services - question de "gouvernance", d'"autonomie", avec ses chartes de "good practice". Tel mode du langage du public privatisé. Le public des Relations Publiques et de la com.
Je ne vois pas (encore) la question de l'amélioration, ou de la prise critique simple, sur l'institution, ni sur une politique scientifique. On parle de discipline - qui relève du scholar individuel - mais pas de département, pas d'université.
C'est ce qui saute aux yeux aussi quand on commence à sentir la présence d'une grande ombre sur le paysage : l'histoire de la situation du "best teaching" ("best" was not always a pedagogical value, clearly - or its onus on the teacher, in those terms at least). L'effacement est celui, toujours, avec l'historique, du contexte : politique. Politique du savoir-pouvoir. Dépolitique de
l'individualisme comme point de vue d'un discours sur la société ; sur une profession.

Ce point de vue est étouffant.

What and where is the value in teaching?
And whose responsibility is it?

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